Kalyma (2012)
Les chants des prisonniers sibériens méritent qu’on s’y attarde un peu plus en longueur.
C’est Noëmi qui aura fait découvrir au groupe l’incroyable histoire de cette sorte de «blues du goulag» né dans les confins peu riants de l’ex URSS. Elle aura emmené Antoine, Florent et Thierry, de sa voix de conteuse, sur les pas de Dina Vierny, l’une des rares privilégiées «de l’Ouest» à avoir été en contact direct avec les premiers rescapés, des prisonniers de droit commun rentrés de Sibérie pendant la période d’ouverture, sous Khroutchev. A Moscou, Dina Vierny, celle qu’on appelle la «muse de Maillol» entend ces chants emplis d’une terrible rage rentrée. Les apprend par coeur, pour que le monde sache-il eût été difficile de faire passer de quelconques enregistrements à la douane. Rentrée à Paris, elle pose sur bande ces morceaux-témoignages en une grande soirée, avec ses amis poètes russes déchus. Au passage, elle rajoute quelques arrangements légers, une guitare, une contrebasse, à ces voix nues.
C’est cet enregistrement, sorti sur vinyle en 1975 et présent dans la discothèque familiale, que va faire découvrir Noëmi à ses camarades, immédiatement conquis. Désormais, c’est sur scène qu’elle présente ces textes oubliés aux spectateurs, des textes de révolte à l’argot russe si poétique.
Le groupe, lui, s’approprie ces cris de révolte et d’espoirs (parce que le sourire reprend toujours le dessus) avec une formidable boulimie d’aventure, utilisant les idées musicales d’aujourd’hui pour les faire siens.
Alfama (2015)
Au départ, il ne s’agissait que d’une intuition musicale.
Qu’y a-t-il de commun entre le chant des femmes lisboètes et celui des veuves polonaises?
Elles chantent l’homme parti trop loin, au delà des mers, enlevé par les guerres. Elles en gardent une même volonté de se tourner vers Dieu, la mer ou elles-mêmes, de guérir leur cœur par la catharsis ou tout simplement aspirer à vivre malgré tout, malgré le désespoir. Le parallèle entre Kalyma et Alfama s’avère d’ailleurs savoureux : alors que dans Kalyma, l’homme prisonnier russe en appelait vers la nature, la mère Patrie, la figure féminine; dans ce deuxième album, c’est la femme qui se tourne vers les éléments avec un mysticisme encore plus appuyé.
Le groupe a déjà commencé à travailler sur le troisième opus qui clôturera ce triptyque de chants d’exils : un autre «blues déraciné», celui de ces migrants russes arrivant en Amérique et la mélancolie de ceux qui sont restés sous le joug de la censure soviétique.
Zimlya (2019)
C’est avec ZIMLYA «la terre» en russe, que Noemi Waysfeld & Blik entame le dernier volet de son tryptique de l’exil, inaugure avec Kalyma et ses chants au masculin, et poursuivi avec Alfama, echo des voix de femmes lisboetes restees seules au port.
Zimlya explore l’exil interieur, sans pays ni frontiere. Pour la premiere fois, aux cotes du russe, surgit le francais comme l’annonce du retour a la maison apres un long voyage aux confins de la langue familiale et emotionnelle, le yiddish. Retour dans un territoire interieur petri d’absences, de souvenirs, de reves. La langue devient ici maternelle. Elle berce les ames deracinees par la perte et recompose un paysage imaginaire de tous les possibles. La terre refuge, terre immaterielle et fertile engendre le chant comme un baume apaisant, une lumiere.
La musique de Noemi Waysfeld & Blik repare ici le chaos, adoucit la disparition de ce qui ne sera plus. La quete de ce bonheur-la. Si simple. Si pur.
http://www.noemiwaysfeld-blik.com/